La remodélisation d'histoire de vie - RHV - : comment s’adresser au patient lors d’une régression en âge sous hypnose ?
Article de Jean Touati, hypnothérapeute
Janvier 2012
Résumé
Suite à la publication, sur le forum Transe Hypnose, du cas sur le traitement du bégaiement en hypnothérapie je reçois cette question : « Il y a un truc qui m'a gêné lors de la régression, vous faites parler votre client à la troisième personne, je trouve ça bizarre, de plus cela le dissocie de ses émotions..., vous auriez pu même vous adresser à ce petit Arthur avec le tutoiement et surtout ne pas employer la troisième personne en vous adressant à Arthur. »
Je précise dans ce court texte, qui vient compléter le texte sur le traitement par régression en âge - RHV -, l'effet thérapeutique recherché au travers des différentes manières de s'adresser au patient et à l'enfant de l'époque.
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« J’ai réinventé le passé pour voir la beauté de l’avenir. »
Louis Aragon, Le fou d’Elsa (1963)
La manière de m’adresser au patient lors de la régression en âge sous hypnose est un élément déterminant et stratégique du travail thérapeutique. J’expliquais cela dans l’article La remodélisation d'histoire de vie : comprendre la démarche et les bienfaits de la régression dans le passé sous hypnose. Je détaille davantage ici ce point.
En règle général je ne recherche pas, contrairement à l'approche psychanalytique, l’abréaction. Je rappelle que dans la méthode cathartique l'effet thérapeutique recherché est une « purgation » (catharsis), une décharge des affects pathogènes. Selon la théorie développée par Freud & Breuer (1895) dans les Etudes sur l'hystérie, les affects qui n'ont pas réussi à trouver la voie vers la décharge restent « coincés », exerçant alors des effets pathogènes. Au cours de la cure le sujet évoque, voire, revit les évènements traumatiques auxquels ses affects sont liés et abréagit ceux-ci – décharge émotionnelle par laquelle le sujet se libère de l'affect (Laplanche et Pontalis, 2004). Pour plus de détails lire Psychanalyse et hypnose : une filiation désavouée ?
Mon expérience clinique et mes réflexions théoriques m'amènent à considérer qu’il n’y a pas vraiment de bénéfice à revivre, avec la même émotion, ce qui a été vécu douloureusement et qu'il y aurait même dans cette pratique un effet pathogène. Les récentes recherches sur la mémoire mettent en lumière le travail de « réparation » des souvenirs que l’on fait lors de la régression hypnotique : un souvenir est modifié lorsqu’on le « revoit » dans un contexte émotionnel différent. J’illustre cela avec un exemple personnel : j’ai des souvenirs traumatiques de la guerre d’Algérie lorsque j’avais trois ans. Je sais que ces souvenirs ne sont pas les souvenirs originels mais ceux que j’ai revus lorsque j’avais dix ans et que j’ai re-rangés débarrassés des affects associés.
Dans certains cas, assez rare, le patient va, de lui-même, spontanément abréagir un moment douloureux. Je l'accompagnerai dans cette voie, comme dans l'exemple ci-après, si je considère que l'émotion qu'il revit présente un caractère libérateur.
Je reviens sur la manière de m’adresser au patient lors de la régression à travers deux exemples :
Ce patient en transe profonde (ouvre les yeux — sans voir —, bouge violement) se met à hurler à sa mère : « Pourquoi tu me fais faire ça, ce n’est pas à moi de faire ça... ! » Il hurlera, en gesticulant violemment, en tapant dans ses mains, sur lui, tout au long de la séance. Je l'amènerai à s'apaiser vers la fin de la séance. Je m’adresserai directement à cet enfant, en le tutoyant, en parlant moi aussi très fort, en criant aussi, tout au long de la séance. Après cette phase d’abréaction qui le submerge et semble bénéfique — il crie ce qu’il n’a pas pu dire à l’époque —, je lui proposerai, toujours en m’adressant à lui (« tu ») d’imaginer un scénario « réparateur » que l'enfant vivra avec l'émotion libératrice associée.
Cette patiente, aussi en transe profonde, rouvre les yeux — sans voir — et crie, elle a trois ans, elle est terrifiait, elle me dit : « Je ne veux pas voir ça, je sais que ma mère va me taper, je ne veux pas ! » Elle revit une scène dont l’adulte n’avait pas le souvenir. Je calmerai d’abord l’enfant pour ensuite l’amener à se dissocier ; se voir sur l’écran de l’extérieur (je faisais la régression en l’amenant à regarder le film de sa vie remonter le temps). Nous parlerons à ce moment-là, moi et la patiente, en dissocier en décrivant ce que la petite fille, en disant « elle » ou « la petite suivi de son prénom » fait dans la scène que l’on voit. Si elle me dit à nouveau « je », je la reprendrai pour l’amener à dire « elle », ce que les patients font très naturellement. Dès lors l’émotion n’est plus ressentie et j’amènerai ensuite, par exemple, la patiente à revoir cette scène de l’extérieur en ressentant une émotion agréable (un souvenir agréable préalablement retrouvé) ce qui, comme je l’expliquai sur la recherche sur les souvenirs et la mémoire, modifie l’affect associé à ce moment traumatique ce qui est un des buts de ce travail de régression en âge.
Je fais en général ce travail de régression au cours d’une unique séance pour ensuite amener le patient à se projeter dans son nouveau futur. En effet, contrairement à la plupart des approches psychothérapeutiques, le travail en hypnothérapie, tel que je le pratique, ne s'éternise pas sur le passé. Je considère même qu'une remémoration incessante, au long cours, du passé aurait plutôt un effet pathogène, voire même, comme je le vois parfois chez des patients ayant suivi une longue analyse, un effet iatrogène (trouble provoquée par le traitement). En particulier lorsque l'analyste se réfère à une étiologie déterministe et figée, amenant ainsi ses patients à se remémorer inlassablement leur passé pour rechercher parmi leurs souvenirs ceux qui, à l'instar de prémisses logiques et causalistes, confirmeraient ce que l'on veut démontrer en oubliant, en regard, de chercher ceux qui, au contraire, pourraient l'infirmer. Cette patiente qui me consulte en s'interrogeant sur la démarche psychanalytique dans laquelle elle s'est engagée depuis quelques mois, exprimera ce ressenti au travers d'une métaphore assez amusante : « C'est vrai, je ne comprends pas comment l'on peut imaginer un jour devenir propre en se lavant continuellement avec de l'eau sale ! »
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Bibliographie
FREUD, S. BREUER, J. (1895) Etudes sur l’hystérie. Paris : Payot, 1956
LAPLANCHE, J. PONTALIS, J.B. (1967), Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF, 2004