Régression en âge sous hypnose dans le traitement d'une patiente souffrant de phobie sociale — Anxiété sociale
Article de Jean Touati, hypnothérapeute
Août 2007
Compte tenu des règles déontologiques de respect du secret professionnel et de réserve vis-à-vis des patients, les prénoms ainsi que certains éléments biographiques ont été modifiés.
Dans ce texte je vous propose d'approcher au plus près la démarche de régression en âge sous-hypnose ; je raconte le travail réalisé lors de la première séance avec Clarissa souffrant de phobie (anxiété) sociale.
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« J’ai réinventé le passé pour voir la beauté de l’avenir. »
Louis Aragon, Le fou d’Elsa (1963)
Clarissa, 42 ans, souffre de phobie (ou anxiété) sociale. Sa vie affective est entre parenthèses depuis déjà dix ans. Lors de notre premier entretien Clarissa commence par me dire qu’elle est en analyse depuis onze ans. Elle a l’impression « de piétiner, d’avoir tellement analysé, essayé de comprendre tout en étant toujours confrontée aux mêmes peurs. » Elle ajoute : « A force de mettre des mots, c’est même pire... »
Clarissa a pourtant beaucoup de charme mais ne semble pas en avoir conscience. Elle parle ainsi de sa phobie sociale : « J’ai peur de me positionner vis-à-vis de quelqu’un. J’angoisse en public, j’ai le cœur qui bat très fort. J’ai cette sensation d’être le point de mire de tout le monde, d’être jugée. J’imagine que l’on va penser que je suis nulle et que je ne vais pas avoir de répondant... ça me met dans un tel état. Je voudrais être invisible, ne pas être interpelée. Pourtant j’ai envie de dire des choses mais j’ai cette impression de décoller, que tous mes souvenirs s’en vont, tout disparaît... de quoi je vais avoir l’air... »
Elle a commencé une première analyse suite à « une séparation avec un homme » puis une deuxième après une autre séparation : « Lorsque j’étais quittée, je ressentais une dévalorisation, une grande détresse. J’avais l’impression de vouloir mourir, je n’avais plus envie de vivre, j’étais en dépression, voilà... Ça m’a aidé de me dire que j’allais voir quelqu’un mais je n’ai pas réglé ce problème de séparation... » Elle poursuit en me disant qu’elle n’a plus eu de relation avec un homme depuis longtemps, qu’elle n’a pas été amoureuse depuis très longtemps et qu’elle aimerait bien revivre ça. J’apprendrai par la suite que cela fait presque dix ans qu’elle n’a pas eu de relations sexuelles.
Lors de notre première séance j’accompagnerai Clarissa au travers du protocole régression en âge — dans le passé — (RHV). Je pense qu’après ces années d’analyse elle peut être prête à revivre différemment les évènements de vie qu’elle a sûrement déjà travaillés, analysés et compris intellectuellement.
En induction, elle choisie de fixer sa bague à sa main gauche ; une bague en argent avec une pierre noire. Clarissa est très kinesthésique, lorsque je parle des doigts ils bougent chacun à leur tour. C’est amusant, elle sourit en le voyant. Je lui dis : « Ils sont contents, ils savent que l’on parle d’eux, alors ils se manifestent... »
Elle retrouve deux souvenirs agréables : en bateau et à la plage. Je lui propose la plage, elle choisit de partir en bateau ; je lui dis : « C’est bien Clarissa, sait ce qu’elle veut, elle ne se laisse pas imposer son chemin...» Je l’amène en transe au travers de ce souvenir ; elle « part » très vite. Je mets la musique Köln Concert de Keith Jarret. Cette musique m’inspire, m’aide à me laisser, moi-même, aller en transe légère, les mots me viennent naturellement et les métaphores s’articulent autour de son histoire et de ses propres mots. J’ancre ses sensations agréables sur son poignet gauche. Et le bateau, un voilier, sera notre métaphore du changement et de liberté : « Derrière lui, il laisse un sillage qui disparait au fur et à mesure que la proue vient frapper une nouvelle vague et comme un battement de cœur la vie continue... » — dans la musique, un battement de pied vient se mêler au piano — « et le vent qui souffle dans ses voiles ne décide pas de son chemin car elle sait que c’est son propre souffle qui gonfle ses voiles... »
Je m’adresse à elle en utilisant son prénom pour la première fois, bizarrement je l’appelle « Christine ». Elle me répond : « Non, moi c’est Clarissa. » Étonnamment, à chaque fois que je veux prononcer son prénom c’est « Christine » qui me vient à l’esprit. Je suis obligé d’inhiber une sorte d’automatisme de pensée, « faire un blanc », pour l’appeler Clarissa. J’écris Clarissa en gros sur mes notes. Pourtant c’est un prénom qui m’est très familier. J’y reviendrai dans un instant.
J’invite maintenant Clarissa à revivre une réunion où elle se sent mal. Son visage devient grimaçant, sa tête part en arrière, sa respiration se fait haletante. J’ancre cette sensation en prenant son poignet gauche. Je lui demande de ne garder que la sensation et de laisser la scène disparaitre, puis je l’invite à s’installer « dans une salle de cinéma qu’elle connaît bien, où les sièges sont rouges... ou bleus » (évidemment c’est pratiquement toujours le cas), de choisir sa place, de s’installer confortablement, de sentir le moelleux du fauteuil lorsqu’elle s’y assoit, pour revoir un film particulier, le film de sa vie... : « Nous allons remonter le temps, mais même si le film se déroule à l’envers curieusement les scènes qu’elle va revoir, se dérouleront à l’endroit, et sans chercher ni à réfléchir, ni à comprendre, ni à savoir pourquoi... certaines scènes s’imposeront à elle et alors l’index droit ou gauche de Clarissa fera un signe — signaling idéomoteur — et nous nous arrêterons pour revoir et décrire cette scène. » Et voilà Clarissa qui remonte le temps avec cette démarche dite de « pont affectif » (Watkins, 1971). Après quelques instants, Clarissa nous fait un signe de l’index droit et successivement plusieurs scènes de son enfance ressurgissent. Je l’accompagnerai à revoir, décrire, ressentir... chacune des scènes ainsi retrouvées. Puis je lui proposerai de choisir un moment particulier, représentatif de cet évènement, pour en faire une photo. Clarissa choisira la taille, l’encadrement, si la photo est en couleur ou en noir et blanc... Puis elle prendra un album photo vierge, choisira une page et collera sa photo, qu’elle pourra revoir si elle le souhaite...
Scène 1 : « J’ai dix ans. Je parle mal à ma sœur par la fenêtre de la salle de bain, mes parents viennent me gronder. »
Scène 2 : « Je suis dans ma chambre, je suis en colère, j’ai cassé une assiette. Je suis dans un coin debout à côté du landau. Je cache l’assiette sous la poupée. La poupée c’est un bébé, c’est ma sœur... »
Scène 3 : « Je suis au camping en vacances. Je revois le camping, les tentes, les bungalows. Ma cousine, Christine (tiens, tiens ! Christine le prénom qui s’imposait à moi de manière irrépressible arrive dans ce souvenir), avec ses copines m’attachent au bac à sable. Elles m’enlèvent ma culotte et elles me mettent du sable dans la culotte. Il y a d’autres enfants qui regardent, je ne peux pas bouger, je suis prisonnière, j’ai honte. »
Clarissa pleure, je lui dis de « sortir de là », de regarder cette scène de l’extérieur (de se dissocier). Elle poursuit : « Elle le dit à sa mère, mais sa mère ne veut rien dire à sa sœur. Elle ne l’a pas fait, personne n’a rien dit. Il ne fallait pas faire d’histoire. »
Scène 4 : « Là, je m’entendais bien avec ma cousine, on dit du mal de mon cousin. On s’entendait bien pour dénigrer mon cousin à cette époque. Ma tante nous entend et le répète à ma mère. On lui reproche, elle ne s’en souvient pas, elle se sent très mal [Clarissa parle d’elle à la troisième personne]. Elle se sent mauvaise. Sa tante fait un reproche à sa mère en répétant quelque chose qu’elle a surprise. Elle a l’impression de quelque chose de définitif, oui définitif. Comme si je ne pouvais pas rattraper ça. Je vois que mon cousin n’était pas là. C’était pas méchant, ma tante utilise ça pour régler ses comptes avec ma mère. » Je lui demande son âge : « J’ai dix ans, nous sommes en 76 ou 77. » Je calcule que Clarissa a 42 ans ; je ne lui avais pas demandé. Puis, dans une démarche « d’autoreparentage » (Melchior, 2008), la « grande Clarissa », l’adulte d’aujourd’hui, viendra apporter du réconfort à la petite Clarissa, lui expliquer que ces histoires d’adultes ne sont pas les siennes, que les enfants peuvent être méchants entre eux à ces âges-là... La « grande Clarissa » trouve facilement la parole. Je lui reprends son poignet gauche — le bateau et ses sensations agréables — pour prendre le chemin du retour : « Et par son souffle qui gonfle ses voiles alors elle peut aussi laisser, comme dans le sillage qui s’estompe, s’échapper tout ce dont elle doit s’apaiser... » J'induis ainsi, au travers de cette métaphore de changement, un travail sur le souffle inspiré de pratiques « chamaniques ». Clarissa souffle timidement au début puis de plus en plus. La petite Clarissa est apaisée puis la grande, elle aussi le visage apaisée, reprendra le chemin du retour.
Un moment après avoir rouvert les yeux, Clarissa me dit : « Je me sens légère, non, plutôt soulagée, je me sens bien... J’avais le sentiment que ma tête partait en arrière et tout mon corps aussi. Je me sentais toujours consciente mais je ne pouvais pas résister. Je ne pensais pas, après tout ce travail en analyse, que ces émotions puissent être toujours si présentes.»
Elle est bien dans le fauteuil, elle semble ne pas vouloir bouger. J’interromps notre échange en la surprenant : « Vous voulez un verre d’eau ? » et je me lève.
Clarissa me demande : « Vous pensez que ces histoires d’enfants ont un tel impact ? » Je lui raconte l’histoire de cette consultante qui n’arrivait plus à mener son travail commercial et qui, en transe hypnotique, se revoit à cinq ans au spectacle de fin d’année et qui ressent une grande honte parce que ses collants sont un peu transparents et que l’on voit sa culotte... Je me surprends à lui répondre : « Ne réfléchissez pas trop à tout ça, laisser la potion agir. » Elle me parle encore d’elle avec son angoisse. Je prends l’air de celui qui ne comprend pas bien :
« De quoi parlez-vous ?
— Eh bien, de moi, de cette angoisse.
— Ah, vous voulez dire de celle qui était angoissée. »
Elle sourit : « J’aimerais bien que ce soit vrai... »
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Bibliographie
MELCHIOR, T. Créer le réel, hypnose et thérapie. Paris : Éd. du Seuil, 2008
WATKINS, J. G. The Affect Bridge: A Hypnoanalytic Technique. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 1971, p. 21-27.