Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC) et hypnose - complémentarités et limites :
La relation thérapeutique
Article de Jean Touati, hypnothérapeute
Juin 2010
Compte tenu des règles déontologiques de respect du secret professionnel et de réserve vis-à-vis des patients, les prénoms ainsi que certains éléments biographiques ont été modifiés.
Je présente dans ce texte mes réflexions sur la gestion de la relation thérapeutique lors d'une TCC de groupe suivie par des patientes souffrant de fibromyalgie (douleur chronique) au sein du CETD (Centre de Traitement et d'Evaluation de la Douleur) de l'hôpital Ambroise Paré à Boulogne.
Je co-animais ce groupe thérapeutique aux côtés d'une psychologue clinicienne et d'un médecin psychothérapeute tous deux spécialisés en TCC.
Je porte, ici, un regard croisé basé sur ma pratique d’hypnothérapeute.
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Plusieurs éléments me frappent lors de la première séance de thérapie de groupe à laquelle j’assiste. Je suis étonné de voir les patientes installées autour d'une grande table (il s’agit de la salle de réunion où déjeune également le personnel). Je m’attendais à les voir assises en cercle sans rien devant elles. J’explique que pour moi il est essentiel de voir les patients dans la totalité de leur posture et de leurs comportements. Le thérapeute semble étonné et me demande ce que je fais de cette observation car ce qui est essentiel, pour lui, « c’est que le patient comprenne la méthode. » Je vois d’emblée, une grande distance avec ma vision de la relation thérapeutique ; je leur parle de la gestion de la relation dans ma pratique, de la nécessité de ressentir le vécu, la personnalité du patient, que l’on peut accéder à ce ressenti par l’observation et qu’ainsi on peut entrer en relation au travers de la synchronisation avec son discours, sa prosodie, son rythme, son vocabulaire, avec sa posture voire sa respiration, etc. Dans cette gestion de la relation, je m’appuie en particulier sur les modèles de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) (Bandler, 1975) modélisation de la pratique de thérapeutes réputés comme Milton Erickson ou Virginia Satir. Brasseur (1997) insiste pourtant bien sur l’observation du comportement douloureux : ensemble des verbalisations, mimiques et postures d'évitement ou de protection développés en réaction à la sensation douloureuse. Il précise que « ce comportement a valeur d'expression, consciente ou non, et représente un facteur d'appréciation non négligeable pour le clinicien. »
Sur cette capacité à « lire » un patient je pourrais citer Freud (1890-1920) qui exprime comment à travers chaque posture, chaque regard, chaque mimique, chaque changement de couleur de la peau, chaque geste, chaque intonation... un patient laisse à voir « tous ses états d’âme » ou Erickson (1990) qui cite son handicap physique comme un atout lui ayant permis de développer un don d’observation exceptionnel, mais en écrivant ces lignes j’ai en cours la lecture de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Sweig (1992) qui, au travers de la psychologie de ses personnages, donne un éclairage original sur la manière d’observer : le personnage principal raconte que, s’ennuyant au Casino, son mari lui indiqua une façon toute spéciale de regarder « beaucoup plus excitante et captivante » : ne plus regarder les visages — qui au jeu portent « le masque froid de l’impassibilité » — mais uniquement les mains des joueurs. Elle décrit les mains comme ayant une vie propre, comme des animaux sauvages, comme des chevaux s’élançant au champ de course. Ces mains animales « révèlent tout », « cent caractères se trahissent », « la main trahit sans pudeur ce qu’ils ont de plus secret. »
Autre point, les thérapeutes portent une blouse blanche, moi aussi, comme les médecins. Lors des entretiens individuels auxquels j’ai assisté, j’ai été frappé de voir la psychologue se tenir derrière un vaste bureau et portant toujours une blouse blanche. Pour elle, le port de la blouse est très important, il apporte une neutralité vestimentaire. J’y vois, à l’instar du bureau, plutôt une barrière. La psychologue se déplace tout de même du bureau lors des séances de relaxation où elle se tient plus proche du patient qui est allongé sur un lit de consultation. Parmi les trois médecins hypnothérapeutes, deux ne portent pas de blouse. Tous sont beaucoup plus libres de leurs mouvements et postures lors des entretiens.
Toujours dans ce registre du contact et de la gestion de la relation avec les patientes, je suis étonné de voir que la psychologue appelle toujours les patientes par leur nom de famille : Madame X, Madame Y. Le thérapeute lui ne connaît ni leur nom, ni leur prénom, c’est simplement : Madame ou Vous. Dans ma pratique il me semble important d’appeler immédiatement les patients par leur prénom, de les toucher ainsi dans leur singularité et leur intimité, sans que cela ne paraisse familier. Je joue également de l’usage de leur prénom dans une démarche, par exemple, de dissociation, en m’adressant à eux : « Alors, qu’est-ce qu’en pense Clarissa ? », voire même du nom et du prénom dans une sorte de jeu dialectique pour les interpeler. Et bien sûr en hypnose où j’entre en étroite relation avec le patient, où je peux exprimer ce que « Clarissa » fait ou ressent, ou encore parler à la « petite Clarissa ». Je sentais venir le moment où une des patientes, Sara, répondra au thérapeute qui l’appelle toujours « Madame » au bout de plusieurs séances, alors qu’elles ne sont que deux patientes ce jour-là : « Moi, c’est Sara ! » La psychologue me dira qu’elle ne peut pas appeler les patientes par leur prénom. Je sens bien que cela touche des éléments d’éducation, que c’est aussi lié à son âge, une idée de respect, mais également, comme pour la blouse, peut être le modèle médical qui est très présent. J’ai lu beaucoup d’ouvrages traitant de la gestion de la relation thérapeutique pourtant, est cela m’étonne, aucun ne traite de la manière de s’adresser au patient. Peut être faut-il aller voir davantage du côté de la littérature qui use de toutes ces nuances pour faire s’exprimer ses personnages ou exprimer leurs pensées et leurs émotions. J’entends, aujourd’hui même, à la radio une émission littéraire où l’écrivain (Ovaldé, 2009) nomme tout au long de son livre son personnage par son nom et son prénom : « Vera Candida ». Elle dit exprimer ainsi une sorte d’incantation, la journaliste lui fait remarquer que cela donne un sentiment de distanciation, d’intemporalité, de narration comme dans un conte. Cette remarque fait écho aux bienfaits thérapeutiques de la narration de son histoire de vie dont j’ai parlé à propos des schémas de pensée [lien ci-après]. Plus tard, j'aurai le plaisir de savourer les romans d'Irving D. Yalom. Psychiatre et psychothérapeute, Yalom exprime, au travers de la fiction, sa vision d'une relation authentique entre le thérapeute et son patient ; dans plusieurs de ses romans Yalom met en scène un thérapeute qui ressent l'intérêt de partager une part de son intimité pour se rapprocher de son patient. Dans Et Nietzsche à pleuré, Yalom (1992) réinvente une habile et amusante autre histoire possible des prémices de la psychanalyse. Il nous plonge à la fin du XVIIIe siècle : Breuer médecin reconnu — mentor de Freud — se retrouve à traiter un patient bien particulier incurable par la médecine traditionnelle. Ce patient n'est autre que Nietzsche. Pour amener Nietzsche à s'ouvrir, Breuer inverse les rôles de médecin et de patient et tous deux s'en vont découvrir les bienfaits de la parole et d'une relation authentique. Lors d'un de leurs entretiens, Breuer connait un moment régressif et Nietzche, sentant qu'il faut s'adresser à lui comme à un enfant, l'appelle par son prénom, « Joseph ». Le lendemain Breuer rappellera à Nietzche cet épisode en lui disant : « Je me suis senti plus proche de vous » (ibid. p.300) et lui proposera de continuer à s'appeler, ainsi, par leurs prénoms. [Pour un aperçu de l'histoire des prémices de la psychanalyse, des liens entre hypnose et psychanalyse, vous pouvez lire Psychanalyse et hypnose : une filiation désavouée ? ]
Je ferai au début de la deuxième session une séance d’hypnose collective. Aussi je profiterai du fait que nous réunissions deux groupes pour demander aux patientes de se présenter et d’écrire leur prénom sur un présentoir. Elles conserveront d’elles-mêmes se présentoir et les thérapeutes commenceront très progressivement à les appeler par leurs prénoms.
Je fais également part à la psychologue de mon ressenti sur la complexité de son discours. Elle me dit qu’on le lui a déjà fait remarquer mais qu’elle ne s’en rend pas compte. Lorsqu’un médecin assistant à la séance le lui fera également remarquer, elle lui expliquera « qu’en TCC on n’est pas thérapeute mais co-thérapeute, on travaille en collaboration, on donne au patient accès à toute l’information, pour qu’il soit actif ». Elle ajoute : « j’admets que cela est très intellectuel. » J’ai le sentiment qu’elle utilise ce « savoir » et un vocabulaire « expert » pour, peut-être, étant donné sa relativement récente expérience thérapeutique, en quelque sorte, s’affirmer. Le décalage avec le niveau d’élocution d’une patiente lors de la première séance était, sur ce point, particulièrement frappant (il ne s’agit pourtant pas de termes techniques des TCC). La psychologue demande aux patientes de définir des objectifs d’amélioration.
Fatima : « Ben moi c’est pour ... pour dépasser les douleurs quoi, que je souffre moins. »
Psychologue : « Moins souffrir, c’est difficile à objectiver, alors plus précisément ? »
Fatima : « J’ai pas compris (en riant mal à l’aise). »
La psychologue, sur un rythme très soutenu et professoral : « Moins souffrir, c’est un peu vague. Comme je l’ai dit on ne va pas travailler sur l’intensité de la douleur, l’objectif ce n’est pas de changer la situation douloureuse, c’est d’arriver à essayer de vivre avec et de s’adapter, d’adopter des stratégies de comportement par rapport à ses douleurs. Donc moins souffrir, je ne sais pas, je fais le pari que probablement vous allez moins souffrir, j’espère, mais j’en sais rien. Donc on ne va pas travailler sur l’intensité de la douleur mais sur le vécu et sur votre action par rapport à cette douleur. Donc par rapport à ça, qu’est-ce que vous pourriez dire ? »
Fatima : « (tout doucement) Je ne sais pas. »
Cette discordance dans la manière d'établir la relation avec la patiente me donne même un sentiment d’agressivité malgré l’intention de bienveillance dans la posture et le regard. Cette patiente ne reviendra pas.
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