Influence des états de relaxation et d’hypnose sur l’imagerie mentale et la mémorisation
Article de Jean Touati, hypnothérapeute
Septembre 2011
Cet article établit une synthèse des connaissances sur l'influence des états de relaxation et d'hypnose sur l'imagerie mentale.
Compte tenu des règles déontologiques de respect du secret professionnel et de réserve vis-à-vis des patients, les prénoms ainsi que certains éléments biographiques ont été modifiés.
Hugo, 11 ans, rouvre des yeux pétillants de surprise. C’est sa première séance en hypnothérapie. Je lui demande comment était le prince dans le conte qu’il vient d’entendre sous hypnose. Hugo me raconte, avec moult détails, ce qu’il a « vu » : « Lorsque le prince était une grenouille et qu’il était dans la mare, c’était une petite grenouille verte avec le ventre d’un vert plus clair et il avait une petite couronne dorée sur la tête. Lorsqu’il remettait ses vêtements c’était à nouveau une personne. Le roi, c’était Henri IV... » Hugo semble ainsi élaborer spontanément une représentation imagée de l’histoire qui lui est racontée. Cette représentation est enrichie de détails qu’il a inventés.
Essayons de comprendre, au travers des recherches sur l'influence des états de relaxation et d'hypnose sur l'imagerie mentale, comment les images viennent si naturellement à l'esprit d'Hugo.
La fermeture des yeux s’accompagne d’une transition vers le rythme cérébral Alpha (8-13 Hz chez l’adulte et 4-7 Hz chez l’enfant) caractéristique des états de relaxation, de méditation ou d’hypnose. Propre aux états de détente psychocorporelle, ce rythme facilite et amplifie le surgissement d’images mentales ainsi que l’activité onirique ou pour le moins sa mémorisation (Frétigny & Virel, 1968). Bowers (1979) constate que les bons sujets hypnotiques relatent un accroissement de visions involontaires de types oniriques durant la narration d’une histoire sous hypnose. Crawford & Allen (1983) soulignent que les sujets répondant bien à l’hypnose expriment qu’en hypnose leur processus d’imagerie mentale est plus vivide et spontané qu’en état de veille et se produit sans effort. Certains sujets expriment que leur processus cognitif est davantage holistique et moins analytique. Ces témoignages suggèrent que l’hypnose permet à certains sujets de basculer d’un système de codage plutôt verbal et orienté vers les détails durant la veille à un système de codage plus visuel et holistique en hypnose. Craik & Tulving (1975), Lockhart, Craik & Jacoby (1976) montrent qu’à la fois la profondeur et l’étendue du traitement agissent sur le processus de mémorisation. La profondeur de traitement peut être affectée par la stratégie et les processus attentionnels mis en œuvre. Plusieurs études (ex. Begg, 1978 ; Bower, 1970) montrent, par exemple, que la consigne de mémoriser des images en interaction conduit à un meilleur rappel que la consigne de mémoriser les images individuelles. Aussi une stratégie holistique pourrait accroitre un processus d’imagerie interactive par rapport à une stratégie centrée sur les détails. Effectivement, les sujets qui constatent l’accroissement d’une approche holistique durant l’hypnose disent « voir » davantage de relations entre les parties de l’image, parfois d’une nature plus étrange et plus souvent en inventant une histoire associée pour faciliter la mémorisation. Cet accroissement d’une imagerie interactive durant l’hypnose pourrait aller dans le sens d’un processus de traitement plus profond. De plus, certains sujets notent que cette imagerie interactive se produit sans effort particulier, « que cela vient à eux ».
Kerr et al. (2011) montrent que les effets de la méditation notamment sur la douleur et la mémoire de travail seraient dus à un meilleur contrôle également du rythme alpha. Celui-ci faciliterait l’orientation de l’attention en « réduisant le volume » des informations distractives. De même, en hypnose, les sujets réceptifs relatent une redistribution de leur attention avec une attention accrue sur ce qui leur est présenté et une distanciation vis-à-vis de ce qui pourrait les distraire (Hilgard, 1965). Cette focalisation de l’attention accompagnée d’une plus grande absorption devrait accroitre la profondeur du traitement (Crawford & Allen, 1983).
Divers auteurs (ex. Graham, 1977) ont émis l’hypothèse que l’hypnose induit une modification des dominances cérébrales vis-à-vis du fonctionnement cognitif. Plusieurs études (ex. Karlin, Cohen & Goldstein, 1983) ont montré un déplacement important de l’EEG (électroencéphalogramme) allant de l’hémisphère gauche au profit de l’hémisphère droit lors de l’entrée en transe hypnotique de sujets très réceptifs. J'ai, moi-même, constaté en consultation, que les patients tournent fréquemment leur tête sur leur droite (pour les droitiers), parfois de manière très prononcée, jusqu'à plaquer leur oreille droite sur l'appui-tête, favorisant ainsi l'écoute par l'oreille gauche dont les signaux parviennent au cerveau droit. Il a été suggéré (ex. Bower, 1970) que les informations verbales et visuelles pourraient être d’un point de vue fonctionnel différenciées entre les processus de l’hémisphère droit et de l’hémisphère gauche. L’hémisphère gauche (chez les droitiers) est associé à des processus de traitement de l’information analytiques et linéaires tandis que l’hémisphère droit est associé à un processus holistiques (ex. Cohen, 1973). Les images mentales, en particulier celles qui apparaissent de manière holistique et sans effort, sont associées à l’hémisphère droit (ex. Bakan, 1980). Crawford & Allen (1983), en se référant à la théorie du double codage de Paivio (1971, 1986) (cf. L'imagerie mentale), émettent l’hypothèse que le changement d’une stratégie cognitive vers une stratégie à prédominance holistique en hypnose pourrait être sous-tendu par un basculement d’un système de codage essentiellement verbal durant la veille à un codage davantage visuel en hypnose.
Ces recherches soulignent que les états mentaux propres à la relaxation et à l'hypnose favorisent la production d'une représentation imagée. Elles n'avancent cependant pas l'hypothèse que ces états mentaux pourraient simplement donner accès à l’imagerie qui se produit automatiquement et inconsciemment à l’état de veille à l’instar de ce que sous-tend la théorie de Paivio (ibid.). La simple fermeture des yeux, et davantage les états de relaxation ou d’hypnose, donneraient-ils accès à ces images qui demeureraient cachées à notre conscience lorsque, à l'état de veille, notre cerveau traite les stimuli extérieurs ? Cette jeune patiente de 21 ans apporte des éléments cliniques allant dans le sens de cette dernière hypothèse ; elle vient me consulter pour des troubles anxieux. Lors de l'anamnèse je l'amène à raconter un processus mental qui la perturbe et la fait souffrir constamment et dont elle « n'a jamais osé parler par crainte de passer pour folle » : elle voit en permanence des images de son passé, avec toutes les modalités sensorielles, se réactiver par association avec les stimuli extérieurs. Aurait-elle accès à un processus qui pour tout un chacun demeurerait caché ? Je ressens, par ailleurs, lors de cet échange, que cette patiente doit certainement avoir une bonne suggestibilité hypnotique, ce qui s'avère être effectivement le cas.
Damasio (1999), dans sa modélisation de la conscience, apporte des éléments en faveur de cette hypothèse. Il accorde à l’image mentale un rôle allant beaucoup plus loin que la cognition ou la mémorisation ; elle sous-tendrait la conscience de soi. Il reprend le concept d’image mentale (configuration mentale) et à l’instar du modèle de Paivio (qu’il ne cite pas) il nous dit que ces images sont bâties à partir d’éléments relevant de chacune des modalités sensorielles, qu'elles « dépeignent » divers processus ou entités, aussi bien abstraits que concrets, ainsi que les relations spatiales et temporelles entre ces entités et leurs actions. L’esprit ou la pensée serait un flux continu d’images ordonnées ou chaotiques. Nous construisons des images lors de nos interactions avec les stimuli de notre environnement, lorsque nous construisons des objets de mémoire ou lorsque nous pensons à un symbole, ou encore lorsque nous éprouvons un sentiment (image somato-sensorielle). Répondant à mon interrogation, Damasio nous dit que la production des images est incessante durant la veille et durant le rêve. Elles peuvent être conscientes ou inconsciente mais, trop nombreuses, elles n’accèdent pas toutes à la conscience. Produite à partir de l'interaction entre chacun et l’objet auquel nous sommes exposé ces images sont au moins autant la création du cerveau qu’elles sont le produit de la réalité extérieure qui les suscite. La conscience émerge lorsque l’histoire d’un objet — perçu ou rappelé en mémoire — changeant causalement l’état du corps peut se raconter en utilisant le vocabulaire non verbal universel des signaux corporels.
Texte en pdf Influence des états de relaxation et d’hypnose sur l’imagerie mentale et la mémorisation
Autres textes
L'imagerie mentale
Synthèse des connaissances sur l'imagerie mentale : Galton, Binet, Bruner, Piaget et Inhelder, Paivio.
Lire L'imagerie mentale
L'hypnose chez l'enfant et l'adolescent
Ce texte décrit ce qui caractérise le travail thérapeutique utilisant l'hypnose avec les enfants et les adolescents ainsi que les pathologies les plus fréquemment traitées. Je partage également quelques témoignages écrits de parents.
Lire L'hypnose chez l'enfant et l'adolescent
Bibliographie
BAKAN, P. (1980). Imagery raw and cooked: A hemispheric recipe. In J. E: Shorr, G. E. Sobel, P. Robin, & J, A. Connella (Eds.), Imagery: Its many dimensions and applications. New York: Plenum Press.
BEGG, I. (1978). Imagery and organization in memory: Instructional effects. Memory & Cognition, 6, 174-183.
BOWER, G. H. (1970). Imagery as a relational organizer in associative learning. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 9, 529-533.
BOWERS, P. G. (1979). Hypnosis and creativity: The search for the missing link. Journal of Abnormal Psychology, 88, 564-572.
COHEN, G. (1973). How are pictures registered in memory. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 25, p. 557-564.
CRAIK, F. I, M., & TULVING, E. (1975). Depth of processing and the retention of words in episodic memory. Journal of Experimental Psychology: General, 1, 268-294.
CRAWFORD, H.J. & ALLEN, S.N. (1983). Enhanced Visual Memory During Hypnosis as Mediated by Hypnotic Responsiveness and Cognitive Strategies. Journal of Experimental Psychology: General, Vol. 112, No. 4, 662-685.
DAMASIO, R.A. (1999). Le Sentiment même de soi : corps, émotions, conscience. Paris : Odile Jacob.
FRETIGNY, R. & VIREL, A. (1968). L'Imagerie Mentale - Introduction à l'onirothérapie. Genève : Editions du Mont-Blanc.
GRAHAM, K. R. (1977). Perceptual processes and hypnosis: Support for a cognitive-state theory based on laterality. In W. E. Edmonston, Jr. (Ed.), Conceptual and investigative approaches to hypnosis and hypnotic phenomena. Annuals of the New York Academy of Science, 296, 274-283.
KARLIN, R., COHEN, A. & GOLDSTEIN, L. (1983). A shift to the right: Electroencephalographic changes from rest to hypnotic induction. Manuscript submitted for publication.
LOCKHART, R. S., CRAIK, R. I. M., & JACOBY, L. (1976). Depth of processing, recognition, and recall. In J. Brown (Ed.), Recall and recognition, London: Wiley.
PAIVIO, A. (1971) Imagery and verbal processes. New York: Holt, Rinehart, and Winston.
PAIVIO, A. (1986). Mental representations: a dual coding approach. Oxford. England: Oxford University Press.