Influence et persuasion en psychologie sociale et techniques communicationnelles de l'hypnose éricksonienne
Article de Jean Touati, hypnothérapeute
Mai 2011
Les études sur les techniques d'influence et de persuasion modélisées en psychologie sociale ne se réfèrent pas aux techniques communicationnelles de l'hypnose éricksonienne. Pourtant, si ce courant thérapeutique a pu initialement puiser parmi ces techniques, il peut à son tour contribuer à la compréhension des processus d’influence. Cet article nous rappelle, que la psychothérapie sous toutes ses formes se fonde sur des processus de persuasion puis établit des passerelles entre les techniques d’influence et de persuasion issues des recherches en psychologie sociale et les techniques de communication de l’hypnose d’inspiration éricksonienne.
Si un dimanche matin vous recevez un appel téléphonique inattendu d’un ami, qui doit absolument, en cet instant, sur un ton un peu exalté, vous dire qu’il vous aime et que vous avez quelques connaissances en psychologie sociale et plus particulièrement en communication persuasive, peut être vous direz-vous : « Combien sont-ils en ce dimanche matin à appeler un proche pour lui dire qu’il l’aime ? Dans quel nouveau mouvement en « développement personnel » mon ami s’est-il engagé ? » A moins qu'il ne vienne d'apprendre qu'il est atteint d'une maladie létale, vous aurez sûrement la réponse quelques jours plus tard en assistant à la soirée de clôture où, dans une démarche de marketing relationnel savamment orchestrée votre ami vous aura invité. Au cours de cette soirée, au milieu de 350 « initiés » galvanisés et de leurs invités vous aurez tout loisir, en écoutant les animateurs de cette soirée, de décrypter la belle maîtrise de techniques de manipulation bien connues des psychosociologues (Joule, Beauvois 2002) mais aussi d’une communication nourrie aux sources de l’hypnose, en particulier l’hypnose éricksonienne et de la PNL (Bandler, 1975). Vous regretterez de ne pouvoir expliquer simplement cela à votre ami – comme le souligne Fournier (2010), cet « embrigadement » vise une « imperméabilité à toute réinterrogation » – mais peut-être l’inciterez-vous à consulter, à tout hasard, la liste des mouvements à caractère sectaires répertoriés par la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires).
Si ces techniques de manipulation et ces modèles communicationnels peuvent servir à « influencer avec intégrité » (Laborde, 1987) dans une relation thérapeutique, ils pourront aussi servir aux vendeurs pour convaincre leurs clients ou encore, comme ici, à des mouvements à caractère sectaire, à embrigader puis manipuler leurs membres.
Aussi, lorsque j’ai commencé à me pencher sur la littérature traitant de l’influence et de la persuasion en psychologie sociale j’ai été frappé, en tant qu’hypnothérapeute, de ne trouver aucune référence explicite à l’hypnose ; Girandola (2003) dans son ouvrage de synthèse sur l’influence et la persuasion cite dans sa bibliographie environ 1200 références sans qu’aucun des titres n’évoque explicitement une recherche se référant à l’hypnose.
Comment expliquer que les psychologues sociaux ne s'intéressent pas à l'hypnose ? Comme nous le rappelle Gay (2007), historiquement deux grands cadres théoriques se proposent d'expliquer l'hypnose et les mécanismes régissant la production des phénomènes idéodynamiques : la théorie psychosociale et la théorie de la néodissociation. Ces deux grands modèles s'opposent dans les années 1970 et se polarisent, l'un sur le rôle de l'influence sociale dans le processus hypnotique, le second sur le rôle des mécanismes cognitifs dans la réponse idéodynamique. Le rôle de l'hypnose dans la production des phénomènes hypnotiques est nié par les tenants du courant psychosocial qui, s'ils reconnaissent une inflexion psychique, la considèrent comme étant produite artificiellement par le sujet comme stratégie inhérente à une prise de rôle déterminée par le contexte d'administration des suggestions, ainsi que par la motivation et les attentes des sujets. Cette interprétation les conduit à la négation de l'hypnose dans l'obtention de la réponse idéodynamique, mais également de son existence. Pourtant Moscovici (1981) remet l’hypnose au premier plan comme modèle principale des « actions et réactions sociales ». Il remet en lumière les travaux de Lebon (1963) qui s’inspire du fait hypnotique comme d’un paradigme responsable de l’influence relationnelle entre la base et les meneurs.
Aujourd’hui, nous rappelle Bonvin (1999), l’hypnose comme concept de base sur la notion d’influence s’inscrit nettement dans la réflexion et le débat relatif aux stratégies de communication, aux influences de groupes, à l’influence des médias, etc. L’hypnose dont il parle n’est pas cette pratique historique de l’hypnose « exercée par une personne toute-puissante sur un sujet impuissant, sans défense… » (Freud, 1921 p.12) mais une pratique renouvelée initialement par le psychiatre américain Milton Hyland Erickson. Celle-ci s’inscrit dans le courant des thérapies brèves stratégiques et vise, dans une approche respectueuse, à mobiliser les propres ressources du patient au travers d’une subtile communication d’influence. Si ce courant thérapeutique a pu initialement puiser dans les modèles d’influence et de persuasion de la psychologie sociale, nous rappelle Nardone (2000), il peut à son tour contribuer à la compréhension des processus d’influence. Je soulignerai également, à l’instar de Frank (1973), Roustang (1990) ou Nardone (ibid.), et bien que cela ne soit pas toujours intégré jusqu’aux praticiens eux-mêmes, que la psychothérapie sous toutes ses formes se fonde sur des processus de persuasion.
Aussi, j'ai trouvé intéressant d'établir des passerelles entre ces approches en portant un regard croisé sur les techniques d’influence et de persuasion issues des recherches en psychologie sociale et les techniques de communication de l’hypnose d’inspiration éricksonienne (HIE).
Théorie de l’engagement, « Yes set » et truismes
Joule et Beauvois (1998) présentent les concepts de la théorie de l’engagement au travers d’une petite histoire imaginaire : une institutrice devant s’absenter avant la fin de son cours demande à ses élèves de bien penser à éteindre la lumière en quittant la salle de classe. Elle échoue à deux reprises : tout d’abord elle essaie de les motiver en recourant à une argumentation rationnelle puis à nouveau en appelant au sens de la responsabilité. Elle y parvient finalement en demandant simplement à un des élèves s’il veut bien éteindre la lumière, ce à quoi il ne peut répondre que « oui » (acte d’acceptation). Pour que l’enfant soit vraiment lié à son acceptation, l’institutrice a pris la précaution d’ajouter une formule invoquant une illusoire liberté de choix : « Tu es bien d’accord, sinon je demande à quelqu’un d’autre ? » L’acte engageant pourra induire une auto-attribution (causale) de trait ou une disposition spécifique qui favorisera l’acceptation d’un acte plus « coûteux » et le maintien de l’engagement dans la durée – rejoignant ainsi l’interprétation des effets de « pieds-dans-la-porte » (Dejong, 1979). Joule, Beauvois (ibid.) précisent leur vision de l’engagement en se centrant sur l’engagement dit externe – c.-à-d., à l’instar de « la carotte et du bâton », non lié à une motivation personnelle ; mais aux caractéristiques de la situation – : « L’engagement correspond, dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d’un acte ne peut être imputable qu’à celui qui l’a réalisé ». Joule et Beauvois (ibid.) détaillent « la formule magique » qui permet d’obtenir cet engagement dans un acte : déclarer la personne libre, mettre en relief les conséquences de son acte, choisir un acte de coût élevé, rendre l’acte le plus visible possible (explicite, en public, répétitif), éviter toute justification externe (récompense, punition), avancer une explication interne. La personne pourra être fortement engagée avec une partie seulement de ces critères satisfaits. Dans l’exemple cité par Beauvois (ibid.) la théorie de l’engagement peut se rapprocher d’une méthode bien connue des vendeurs ; obtenir un premier « oui » puis créer une séquence d’acceptation ou « Yes set » pour aboutir à la décision d’achat. La communication hypnotique a recours à des suggestions sous forme de truismes – par exemple : « Vous êtes assis dans ce fauteuil les mains croisées », « Il est plus agréable de s’installer confortablement » – conduisant le sujet à penser ou à exprimer de manière non verbale (oui, oui...) pour l’amener finalement à accepter une dernière proposition moins évidente.
La procédure du « Vous êtes libre de... » et le « choix illusoire »
La procédure du « Vous êtes libre de... » met en avant qu’en appelant explicitement à la liberté de la personne à convaincre en lui disant simplement, par exemple, à la fin de notre requête : « Mais vous êtes libre d’accepter ou de refuser », les chances que la personne accepte la requête seraient largement accrues. Par exemple Gueguen et Pascual (2000) ont montré que la probabilité d’obtenir de l’argent d’un inconnu était multipliée par 4 (40% contre 10%) et la somme donnée dans le second cas était supérieure de 23%.
Prenons un exemple issu de ma consultation en hypnothérapie : cette patiente vient me consulter car malgré onze années de psychanalyse, elle va de plus en plus mal. Lorsque nous évoquons cette « psychanalyse sans fin » elle me précise que, de toute façon, le psychanalyste lui a toujours dit : « Je ne vous empêcherai pas de partir. » Je l’amène à réfléchir à ce que cela signifie. Elle me dit : « Eh bien, cela veut dire que je suis libre d’arrêter quand je le veux ! » Il me suffit d’ajouter : « Mais ne le saviez-vous pas déjà ? » pour qu’elle se plonge un instant en elle, ressente cet effet paradoxal et, perplexe, me dise : « C’est de la... manipulation ? »
Cette technique ne doit pas son efficacité aux mots employés mais au concept de liberté. On peut l’expliquer ainsi : dire à la personne ce qu’elle sait éminemment : « Qu’elle est libre », l’amène inconsciemment, pour ne pas se sentir contrainte, à avoir tendance à faire le contraire de ce qu’elle aurait fait spontanément pour ainsi retrouver son sentiment de liberté. En HIE cette technique est utilisée, contrairement à l’exemple que je viens de citer, à des fins d’influence bénéfique pour le patient ; soit directement ou sous des formes dissimulées au travers, par exemple, de la technique du « choix illusoire » ; par exemple : « Pour entrer en transe préférez-vous fixer une de vos mains ou un objet dans la pièce...? » ; peu importe la réponse, le thérapeute parvient à ses fins en laissant l’illusion du choix. Elle se rapproche également des « prescriptions paradoxales » (Watzlawick, 1980) : prescrire, à la personne, de faire volontairement son symptôme ; à un patient dépressif : « Tous les matins, vous vous lèverez 10 min plus tôt, et vous ferez venir le plus d’idées noires possibles, mais juste pendant 10 min... » ; « l’inconscient » se lasserait, au bout de quelque temps, de faire ce qui est maintenant fait volontairement.
La communication engageante et la prescription de tâches
La communication engageante résulte du rapprochement entre les recherches sur la communication à visée persuasive et les recherches sur l’engagement. Girandola et Joule (2008) nous disent que si, on continue à se poser les questions classiques en matière de communication comme : quelles sont les bonnes informations à transmettre ? quels sont les meilleurs arguments à mettre en avant ? quels sont les bons canaux, média, outils, etc. ? on se pose une question de plus dont la prise en compte est déterminante : quels actes préparatoires doit-on obtenir de la part de la personne dont on recherche le concours ? Cet acte préparatoire, en dotant la cible d’un statut d’acteur et non pas seulement de récepteur, distingue une démarche de communication « engageante » d’une démarche de communication « classique ». On peut obtenir un acte préparatoire fortement engageant en jouant sur plusieurs facteurs de la situation, parmi lesquels : le contexte de liberté dans lequel l’acte est réalisé, le caractère public de l’acte, la répétition de l’acte, les raisons de l’acte (attribution interne, vs. externes – récompense). L’engagement d’un individu dans un acte dépend du degré auquel il peut s’assimiler à cet acte, et ce degré dépend de son sentiment de liberté. Marchioli (2006) nous dit que, dans une perspective de communication engageante, ce serait la production de sens issue du dispositif persuasif en interaction avec la réalisation du comportement préparatoire engageant qui pousserait à l’action. Ces principes d’actions se retrouvent dans la prescription de tâches en thérapie brève et en hypnose (Melchior, 1998). Il peut s’agir de prescrire un changement anodin de comportement, prescrire une tâche ambiguë susceptible de multiples interprétation – Erickson envoyant un patient grimper Squaw Peak, ou chercher un certain type d’arbre dans le désert –, une tâche métaphorique ou symbolique ou encore la réalisation d’un rituel. Ces tâches agiraient de diverses manières : production de sens, détournement de l’attention par rapport au trouble du patient ou, dans un contexte de liberté, à la manière des principes d’action de la communication engageante.
Techniques de perturbation et recadrage, théorie du traitement central et périphérique et confusion
O’Keffe (2002, p.17) définit la persuasion au travers de l’influence sur l’état mentale du sujet : « Une tentative couronnée de succès pour modifier l’état mental d’autrui par l’intermédiaire d’une communication dans un contexte de liberté. » La persuasion viserait à influer sur le comportement en modifiant au préalable l’état mental de l’individu. La technique de perturbation et recadrage comme les techniques de confusion, abondamment utilisées en HIE, modifient l’état mental dans une visée d’influence. Knowles, Butler et Linn (2001) propose une technique dite de perturbation puis recadrage. Elle consiste, dans une requête, à introduire une erreur de syntaxe ; par exemple inverser 2 mots – condition 1 : « Seriez-vous intéressé à donner un peu d’argent au centre... ? » condition 2 : « Seriez-vous intéressé à donner de l’argent un peu au centre... ? » suivi dans les 2 cas de « Vous pourriez faire la différence » (le recadrage). Cette inversion amène 65% des personnes sollicitées à faire un don contre 30% dans la condition 1.
Beaucoup plus générale, la technique de confusion d’Erickson, vise à bloquer la censure logique, analytique et critique exercée par la raison. Ces techniques de confusion permettent de « désactiver les dispositions mentales conscientes » (Erickson & Rossi, 1979). Erickson (1964) pensait que cette approche était particulièrement indiquée pour les sujets résistants qui ont tendance à tout intellectualiser et tout étudier dans le moindre détail. Il s’agit de provoquer un état de confusion intellectuelle de plusieurs manières, par exemple au travers de structures syntaxiques incorrectes – comme dans l’étude de Knowles et al. (ibid.) –, ou complexes, ou ambigüe ou encore abreuver la personne d’explications pseudo-logiques complexes ou faire allusion à des faits sans aucune importance en termes compliqués et ampoulés et par conséquents déroutants (Watzlawick, 1980). Dans ce flot de parole – « salade verbale » (Lockert, 2001) – il est alors possible de procéder à la technique du « saupoudrage » (en anglais seeding – ensemencement –) en semant des suggestions rendues ainsi inaccessibles à toute intellectualisation. Watzlawik (ibid.) fait le parallèle avec un texte monotone dans lequel seraient soulignés certains mots qui véhiculeraient un autre sens perceptible, dit-il, vraisemblablement par l’hémisphère droit.
Lire par exemple Métaphores et contes en hypnose.
Chertok (2006, p. 217), quant à lui, souligne que l’hypnose, dans la mesure où elle crée les conditions d’une régression corporelle profonde, favorise l’émergence d’un mode de fonctionnement mental plus proche des processus primaires. La théorie du traitement central et périphérique propose une modélisation de ce type d’effet. Cette théorie s’intéresse à l’effet d’un message persuasif selon, d’une part, que le sujet est centré sur le contenu du message, qu’il est motivé et capable de le comprendre et de l’analyser d’un point de vue rationnel et, d’autre part, lorsque le sujet n’est pas intéressé, ni motivé et / ou que son attention est distraite. Cette théorie stipule que, dans le premier cas, le message emprunte la voie centrale, dans le second cas, la voie périphérique (Petty et Cacioppo, 1986), ces 2 voies intervenant progressivement sur un même continuum. Lorsque la voie centrale est principalement active les ressources cognitives sont, de manière contrôlées et consciente, centrées sur le contenu de la communication, la personne analyse les arguments en intégrant ses connaissances, en accédant à ce qui structure ses attitudes et elle produit des pensées favorables ou non à la position défendues. Plus le sujet élabore des pensées favorables plus le changement d’attitude sera important. Si la personne est distraite pendant l’écoute d’une communication persuasive (Festinger et Macoby, 1964), l’activité cognitive de contre-argumentation serait freinée et le sujet serait plus facilement convaincu. Par contre, cela réduirait la persuasion lorsque la personne serait plutôt favorable (Petty et al. 1976). Cependant dans un environnement social et communicationnel courant il n’est pas possible, au niveau cognitif, de toujours traiter de manière logique et rationnelle le flux d’information qui nous parvient, aussi nous mettons en œuvre des « structure de savoirs », sorte d’heuristique activant des scripts selon les situations, nous permettant de communiquer et d’agir sans traiter de manière exhaustive toute l’information. On peut par exemple prendre en compte des indices périphériques indépendamment du contenu du message ; on parle d’un traitement de l’information par la voie périphérique. Les attitudes adoptées suite à un traitement central seraient plus forte et stable dans le temps que celles adoptées sur la base d’un traitement périphérique.
Message sur mesure versus message standard
Un message conçu sur mesure pour une cible a plus d’impact : il facilite le traitement cognitif, augmente l’implication, et perçu comme plus intéressant et, in fine, favorise le changement d’attitude visé. Shiffman et al. (1997, in Kreuter et al., 2000) ont mené une étude impliquant 3807 fumeurs et constate un taux d’arrêt de la cigarette à 6 mois significativement plus important avec un message conçu sur mesure. Dans le même sens les messages reflétant le schéma de soi de l’individu sont les plus persuasifs (Cacioppo et al. 1982). Le schéma de soi, processus cognitif, permettrait en fonction de l’information sur le Soi de sélectionner l’information reçue (Brock et al. 1990). Les études sur l’arrêt du tabac à l’aide de l’hypnose mettent en avant des différences considérables entre un message « standard » et un message adapté au sujet. Watzlawick (1980, p.145) souligne que l’hypnothérapeute non seulement va s’efforcer de comprendre le plus vite possible les valeurs, les espoirs, les attentes, les craintes, les préjugés qu’il qualifie « d’image du monde » – que l’on peut rattacher au concept de Soi en psychologie sociale (Martinot, 1995) – de son client mais va aussi porter son attention sur le langage de son client qu’il va utiliser à son tour.
Le pouvoir des histoires métaphoriques
Dans la médecine traditionnelle hindoue, nous raconte Bettelheim (1976), il était d'usage de soumettre à la méditation des personnes psychiquement désorientées un conte de fées mettant en scène leur problème particulier. En contemplant l’histoire, pensait-on, le sujet devait être amené à prendre conscience à la fois de la nature de l’impasse où sa vie s’était fourvoyée et de la possibilité de trouver une solution. Les vertus thérapeutiques du conte de fées, nous dit-il, viennent de ce que le patient trouve ses propres solutions en méditant ce que l’histoire donne à entendre sur lui-même et sur ses conflits internes à un moment précis de sa vie. Dans les contes de fées, les processus internes de l’individu sont extériorisés et deviennent compréhensibles parce qu’ils sont représentés par les personnages et les évènements de l’histoire. Le conte de fées, ne nous dit jamais quel doit être notre choix, il nous convainc par l’appel qu’il lance à notre imagination et par l’enchaînement séduisant des évènements qui nous sollicitent. Ce que Bettelheim nous dit pour le conte de fées opère à l’identique au travers des métaphores qui, prises dans un sens assez large englobant histoires, contes et anecdotes, sont un outil majeur de l’hypnose d'inspiration ericksonienne. La métaphore nous aide à conceptualiser ce qui ne peut pas être compris par la désignation : les sentiments, la conscience (Lakoff, Johnson 1999), elle procède par images en référant/proférant (à) des réalités concrètes (Melchior, 1998). Melchior (ibid.) nous dit que le fait de raconter une histoire comporte en soi un processus hypnogène et qu’ainsi les métaphores peuvent induire leur effet aussi bien en état de veille et en transe hypnotique. Bowers et Osborne (1966) ont étudié l’usage de métaphores dans un texte persuasif démontrant l’influence des métaphores dans les changements d’attitudes. Ottati, Rhoads et Graesser (1999) s’inspirent du modèle dual des processus parallèles de Witte (1992) pour étudier l’effet persuasif des métaphores. Ils font l’hypothèse que la métaphore joue sur la motivation des sujets à analyser attentivement un message persuasif et démontrent que cela se vérifie uniquement si ce message résonne avec les préférences et les intérêts des auditeurs. De plus, cette analyse approfondie convaincrait uniquement si le message contient des arguments forts et irréfutables. Kardes (1988) a montré, que dans un texte à visée persuasive, une conclusion implicite augmenterait la motivation des sujets fortement impliqués à traiter plus soigneusement l’argumentation ce qui rendrait l’attitude plus accessible. De même Howard et Sawyer (1991) ont montré que les changements d’attitudes motivés à partir d’une conclusion implicite étaient plus résistants chez les individus fortement impliqués. Etonnamment la résistance face à une tentative d’influence n’a que récemment pris en compte la dimension affective (Lee et Pfau, 1997). Une information jouant sur l’émotion au travers d’anecdotes, de métaphores, de stéréotypes serait, selon, ces auteurs vis-à-vis des tentatives d’influence, moins efficace qu’une communication fondée sur des arguments rationnels. Egalement, une communication suscitant une émotion négative, serait plus efficace qu’une communication suscitant une émotion positive. Une émotion négative amènerait à analyser davantage l’information qu’une émotion positive qui déclencherait préférentiellement un traitement périphérique. Ma pratique clinique, notamment dans l'accompagnement à l'arrêt du tabac en hypnose, met, au contraire, plutôt en avant l'impact d'une communication positive pour provoquer un changement de comportement. Lire Arrêt du tabac : « l'appel à la peur » ou « comment réussir à ne pas arrêter de fumer ! » et Arrêt du tabac : les fumeurs ne sont pas des nicotinomanes ! Le mensonge sur la dépendance à la nicotine
Texte en pdf Influence et persuasion en psychologie sociale et techniques communicationnelles de l'hypnose éricksonienne)
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